Vous parler de ça (Laurie Halse Anderson)

vous-parler-de-ça-laurie-halse-andersonInédit en France, troisième parution de La Belle Colère après Dieu me déteste et La Ballade d’Hester Day, Vous parler de ça (Speak en VO) est le premier roman de Laurie Halse Anderson publié voilà déjà 15 ans aux Etats-Unis. Il s’en est vendu des millions d’exemplaires et une adaptation ciné a vu le jour en 2004 avec dans le rôle principal une Kristen Stewart alors âgée de 14 ans ne fricotant pas encore avec les vampires. Pourtant très bien noté sur Allociné (bon d’accord il n’y a « que » 554 votes mais 4,1/5 tout de même!) le film n’est pas sorti en salles chez nous mais il est disponible en DvD.
« C’est la rentrée ; mon premier jour au lycée. […] Ca y est, les élèves envahissent le car par groupes de quatre ou cinq. En s’avançant dans l’allée, celles et ceux que j’avais connus au collège, en sport ou en travaux pratiques de physique-chimie, me jettent des regards noirs. Je ferme les yeux. C’est bien ce que je craignais. »  (première page)

Speak film kristen stewartCe roman donne voix à celle de Melinda, ado de quatorze ans qui raconte sa première année de lycée à travers de courts chapitres. Dès la première page on se rend compte qu’elle fait partie des élèves impopulaires, évités et moqués. Elle ne parle pas beaucoup, les mots restent coincés et ne franchissent pas souvent ses lèvres et la raison de son silence est grave : elle s’est fait violer par un élève de Terminale juste avant la rentrée, et personne ne le sait. Pour les autres, elle est la fille qui a fait capoter une fête géniale en appelant les flics car lors de leur arrivée Melinda a fui, envahie par la honte et rongée par la peur.
Evidemment, son incapacité à parler combinée au rejet des élèves l’isole toujours plus du reste du monde. Et pourtant Melinda est une jeune fille intelligente et sensible qui mérite qu’on gratte un peu la lourde carapace qu’elle s’est forgée …

J’ai lu que dans les lycées américains ce livre est devenu une sorte de plaidoyer contre le viol et c’est une très bonne chose mais il serait dommage de le réduire à ce seul combat. Parce qu’au delà du drame on y trouve une description très fine de l’univers particulier qu’est le lycée et des relations qui s’y jouent. Alors bien sûr on est aux Etats-Unis, tout est forcément très « américain » : les matchs, les pompoms-girls, les clubs select de filles branchées, … (à ce propos, les élèves américains sont-ils vraiment notés sur leurs tenues vestimentaires et leur comportement à la cafétéria ?! O.o) mais justement ça n’en décrit que mieux la jungle impitoyable de cette période de la vie : il faut rentrer dans une case, traîner avec des gens qui se ressemblent, adopter un langage commun, faire partie d’un clan, se faire accepter, séduire, jouer des coudes, se créer une identité. Et Melinda, en taisant et en enfouissant ce qui lui est arrivé, ne communiquant pas, ne fait que creuser le fossé et attiser le rejet : tout occupés à parfaire leur propre popularité, la plupart des élèves ne voient rien d’autre en elle qu’une fille mal dans sa peau qu’il vaut mieux éviter. La formule est peut-être simple mais n’en est pas moins juste. Le personnage d’Heather est d’ailleurs l’archétype du phénomène : bien contente de gagner l’amitié de Melinda, elle finit par trouver sa compagnie encombrante car malgré leur lien, Melinda n’est pas assez fun, trop déprimée et trop impopulaire pour rester son amie et se fait larguer sans autre forme de procès.
Pas jojo jusque là, n’est-ce pas … Et pourtant! on aurait tort de penser que ce roman est un simple reflet déprimant de la réalité …

Speak--laurie-Halse-AndersonCar Melinda fait preuve d’un cynisme réjouissant vis à vis de son établissement et Laurie Halse Anderson parsème les pages de petites étincelles d’humour et de fraîcheur absolument irrésistibles. Les profs en prennent pour leur grade et on ne peut pas parler des profs sans parler de Mr Freeman qui a fait des arts plastiques son dada : un très beau personnage dont la salle de classe poussiéreuse et encombrée permet une pause salutaire. Pendant ses cours Melinda essaie d’exprimer ce qui la ronge – sans forcément y parvenir …
Certains chapitres sont très beaux (« colorier en dépassant » , « germination ») d’autres poignants (« bleus à l’âme »), d’autres encore vraiment drôles (« insecticide », « cultiver la douleur ») et même si certains sont un poil exagérés (je pense à la soirée de Thanksgiving) l’ensemble forme un patchwork d’émotions qui fait sourire, se révolter et s’émouvoir dans une dimension salvatrice très forte … Seul le temps saura venir à bout de la blessure et du manque de confiance de Melinda -un temps nécessaire et inévitable- et justement, je nourris un petit regret pour la fin trop vite expédiée à mon goût … c’est que j’aurais aimé suivre cette ado encore un peu, dans sa (re)construction et son rapport aux autres … C’est un personnage auquel on s’attache et dont on brûle de connaître la suite.
J’ai donc bien envie de rejoindre les mots de John Green (que je n’ai pourtant pas réussi à suivre pour Eleanor & Park) qu’on peut lire sur le dos du bandeau du livre : « De nombreux auteurs ont contribué à donner au roman d’apprentissage ses lettres de noblesse, Laurie Halse Anderson est sans conteste l’un des plus importants ».

Voilà… Ce roman est grave et drôle en même temps, tendre, émouvant et salvateur, ses pages sont faites de moments qui serrent le coeur mais aussi de vraies bouffées de bonheur. A découvrir ! 😉

EXTRAIT :
« J’ai de plus en plus de mal à parler. Ma gorge me fait toujours souffrir, mes lèvres sont gercées. Quand je me réveille le matin, mes mâchoires sont tellement contractées que j’en ai mal à la tête. Ma langue se délie parfois quand je suis seule avec Heather. Mais chaque fois que j’essaie de parler à mes parents ou à un prof, je bafouille ou me bloque. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez moi ? J’ai l’impression d’être atteinte d’une espèce de laryngite chronique. » (p85)
Quatrième de couv’ …
Melinda Sordino ne trouve plus les mots. Ou plus exactement, ils s’étranglent avant d’atteindre ses lèvres. Sa gorge se visse dans l’étau d’un secret et il ne lui reste que ces pages pour vous parler de ça. Se coupant du monde, elle se voit repoussée progressivement par les élèves, les professeurs, ses amis, et même ses parents. Elle fait l’expérience intime de la plus grande des injustices : devenir un paria parce que ceux dont elle aurait tant besoin pensent que le mal-être, c’est trop compliqué, contagieux, pas fun. Melinda va livrer une longue et courageuse bataille, contre la peur, le rejet, contre elle-même et le monstre qui rôde dans les couloirs du lycée.
Vous parler de ça (Speak, 1999), de Laurie Halse Anderson
traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie Chabin
La Belle Colère (Anne Carrière), oct 2014, 300p
4 étoiles
Laurie Halse AndersonDans la même veine : Love letters to the dead Le monde de Charlie
Anecdote : Je découvre grâce à cette lecture l’auteure Maya Angelou, dont les livres sont censurés dans le lycée de Melinda … (page Wikipedia)
Info : Speak sera adapté en roman graphique en 2016.
Avis aux éditeurs : le dernier roman de l’auteure sorti en janvier est super tentant … Une traduction ? ;-)) (The Impossible Knife of Memory)
(source photo auteur : bonniesbooks.blogspot.fr/)

 

Challenge Rentrée Littéraire 2014 (3/6)
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Les avis de : AnneCajouLasardine –  …

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32 réponses à Vous parler de ça (Laurie Halse Anderson)

  1. Joanna dit :

    C’est le premier avis que je lis sur ce bouquin, et je le note tout de suite. C’est dingue qu’il ait été publié il y a plus de 15 ans et qu’il arrive à peine chez nous maintenant!
    Dernier article de Joanna : L’héritage [Adeline Neetesonne]

  2. Radicale dit :

    Tu me donnes très envie !
    J’ai déjà lu Dieu me déteste, l’éditeur a l’air vraiment intéressant…
    Dernier article de Radicale : Classiques de SF : 1984 / Demain les chiens

    • Melo dit :

      Oui, vraiment! Et leurs titres et leur choix d’identité graphique font du bien à voir dans l’univers un peu trop formaté des romans ados.
      De mon côté j’ai craqué sur La Ballade d’Hester Day et je me sermonne de ne pas l’avoir encore lu 😉
      J’espère que Vous parler de ça te plaira si tu le lis, je surveillerai l’arrivée de ton billet !

  3. moi aussi c’est le premier billet que je lis sur ce roman & moi aussi je le note tout de suite ! Merci pour cette découverte !
    Dernier article de Tasse de culture : Divergente, tome 1 – Veronica Roth

    • Melo dit :

      Génial, j’espère que ça vous plaira à tous, j’ai un peu la pression de me dire que ça peut aussi déplaire.
      Merci pour ton passage 🙂

  4. Louise dit :

    Je n’ai pas lu Dieu me déteste (qu’on voit un peu partout, et je l’ai noté), celui ci aussi. J’espère le trouver à la biblio. L’histoire est intéressante, mais je ferai abstraction de tout ce qui est trop américain.
    Dernier article de Louise : Un dimanche quelque part

    • Melo dit :

      Là on baigne vraiment dans le lycée américain alors j’espère que ça te plaira quand même 😉
      Merci d’être passée

  5. Cleophis dit :

    Très bon article, il donne vraiment l’impression d’être tombé sur une perle. Je le note! 🙂
    Dernier article de Cleophis : Il était temps de Richard Curtis (2013)

    • Melo dit :

      J’ai la pression maintenant ;))
      Merci à toi d’être passée, j’ai découvert ton blog il y a qq mois je l’aime beaucoup !

  6. Mabiblio1988 dit :

    Ton avis me donne envie… Je le rajoute de suite à ma wish list.
    Dernier article de Mabiblio1988 : Létal, tome 1 : Mortellement vôtre

  7. Sybille dit :

    Il m’a l’air intéressant ce livre. Je connaissais Speak mais je ne savais qu’il était tiré d’un livre !
    Dernier article de Sybille : Débat Bioéthique

    • Melo dit :

      Justement j’ai vu le film ce week-end et je le trouve mal fait. Aucun intérêt si on a lu le roman. Si je devais le noter il aurait 2/5 et encore! Alors à choisir : le roman, sans hésiter!

  8. zazy dit :

    Encore un auteur à découvrir
    Dernier article de zazy : Tag "défi positif" : Jour 3

  9. Ameni dit :

    Ah j’ignorais que le film était une adaptation ! Je l’avais bien aimé perso. Mais si tu dis autant de bien du livre, j’ai bien envie de l’acheter pour mon lycée 🙂

    • Melo dit :

      Après lecture du roman le film me paraît bien fade et très « cheap » mais le cdi est la place toute trouvée pour le livre 😉

  10. Tiphanie dit :

    Je le note ça a l’air vraiment bien. J’aime beaucoup ce genre de romans.

  11. premier billet que je découvre sur ce titre et tu donnes très envie ! merci 🙂

  12. Cette collection m’attire depuis des mois (mais je ne me sens pas cap de lire Dieu me déteste…)… celui ci me tente franchement, je vais l’attendre à la bibli!!

    • Melo dit :

      Je suis pareille, j’hésite beaucoup pour Dieu me déteste à cause du thème. En tout cas celui-ci m’a beaucoup plu et plaira certainement davantage encore aux ados ! (et je crois que tu en as une pile poil de 14 ans d’ailleurs ? 🙂 )

  13. Lucie dit :

    J’ai déjà lu « Dieu me déteste » dans cette collection et j’avoue que ta critique m’a donné très envie de lire ce roman.

    • Melo dit :

      Bonjour, Lucie,
      Je viens de lire ton billet sur Dieu me déteste (d’ailleurs j’ai un souci pour m’identifier sur ton blog) et je vais finir par me laisser convaincre à force…

  14. lasardine dit :

    Je le commence, je ne lis donc ton billet qu’en diagonale…
    J’ai eu un véritable coup de cœur pour « Dieu me déteste » et j’ai beaucoup aimé « La balade d’Hester Day »! Je me régale d’avance, j’espère aimer autant! J’aime beaucoup leurs choix!

    • Melo dit :

      Ah cool ! Tu n’as pas perdu de temps 😉 Je croise les doigts pour que ça te plaise… Et j’ai hâte de lire ton billet. Bonne lecture !

  15. Cajou dit :

    Quel beau billet Mélo ! J’ai eu du mal à écrire le mien, il m’a fallu + de 2 heures et je ne suis tjs pas satisfaite.
    C’est vrai que le passage de Thanksgiving est exagéré mais il m’a fait bien rire héhé :p
    Des bisous,
    Cajou
    Dernier article de Cajou : Vous parler de ça – Laurie Halse Anderson

    • Melo dit :

      Thanskgiving m’a + fait rire dans le film (médiocre adaptation soit dit en passant) et moi non plus je ne suis pas satisfaite de mon billet haha !

  16. Anne en a parlé ici (http://desmotsetdesnotes.wordpress.com/2014/10/13/vous-parler-de-ca/) et lui trouve des défauts. Du coup, je suis moins motivée et le thème me rebute, il faut bien le reconnaître (déjà j’ai mis une plombe à lire La nostalgie de l’ange)
    Dernier article de Philisine Cave : Portrait d’après blessure – Hélèn Gestern *****

    • Melo dit :

      Il a des défauts, sûrement, mais il est aussi très beau je trouve.
      Beurk, La nostalgie de l’ange je n’ai pas pu dépasser les 50 pages et le film m’a déplu malgré sa belle esthétique…

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